De Palo Alto a Bruxelles

 1. srpen 2011  Mathieu Detaille   komentáře

Je commencerai par ce lieu commun: tout système a un code. Ainsi en est-il du journalisme, également. Depuis Palo Alto et De Saussure, les codes du langage sont l’objet central de toute étude en communication. Pour qu’un message soit compris, il faut non seulement qu’il ait du contenu, mais également un contenant qui lui corresponde.

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Je commencerai par ce lieu commun: tout système a un code. Ainsi en est-il du journalisme, également. Depuis Palo Alto et De Saussure, les codes du langage sont l’objet central de toute étude en communication. Pour qu’un message soit compris, il faut non seulement qu’il ait du contenu, mais également un contenant qui lui corresponde.

A peine avais-je terminé mes études, il y a 5 ans exactement, que ce débat allait prendre une tournure nouvelle dans les universités belges. Un débat profond, provoqué par une émission qui n’a d’antécédent que la maintenant adulée fausse émission radio d’Orson Welles en 1938.

En 2006 déja, l’objet Belgique faisait parler de lui. Tout le monde y allait de ses spéculations : « et la séparation, et les Flamands, et les Wallons, oui mais Bruxelles, nonobstant BHV, et les transferts, vous oubliez Leterme qui va radicaliser le fédéral, et le pouvoir d’achat », et ainsi de suite. Depuis, ça tremble encore plus fort, mais au fond rien n’a vraiment changé.

Dans les universités, dans les rédactions, dans ce petit monde des médias belges, par contre, tout a changé.

C’était par un soir de décembre 2006, il y a 5 ans vous disais-je. Comme tout un quidam sur le coup de 20h, je vague de chaîne en chaîne pour décider d’un programme. Les reportages du vieux Defossé sur la RTBF (télévision publique) ? Ou une série américaine sur la chaîne commerciale ? Allons pour Defossé. Mais ! Sapristi ! A peine la météo terminée, suivie de quelques pubs, que le générique du journal télévisé reprend. De Brigode a oublié de rentrer a la maison ? Voici le présentateur-vedette de la chaîne publique qui prend un ton grave, et l’insert « Émission spéciale » rend son intervention encore plus solennelle.

« Mesdames, Messieurs, excusez-nous d’interrompre votre programme, mais l’instant est grave. Le Parlement flamand, réunit ce soir, a voté l’indépendance de la Flandre ». S’ensuit des reportages perturbants sur un tram bloqué a la frontière linguistique, l’image du Roi qui quitte le pays, des Flamands qui célèbrent l’indépendance... Après quelques minutes, les sms commencent a pleuvoir sur mon téléphone : « Mets la RTBF !! ».

Habitué, précisément, aux codes des médias, j’ai pu sentir le roussi dès les premières secondes de l’émission. Elle s’appelait « Émission spéciale », et non « Édition spéciale ». Il n’y avait pas le logo du journal télévisé, mais un autre... étrange. Et De Brigode, insistant plus sur la gravité que sur le fait, allait finir de dissiper mon doute. J’ai immédiatement zappé pour voir si l’information était relayée autre part, mais aucune autre chaîne n’interrompait ses programmes. Puis dès le premier reportage, confirmation : il s’agissait d’un faux. Aucun des codes standard du journalisme n’était respecté.

Oui. Mais voila. Tel est mon métier, tel n’est pas celui de chaque spectateur. Pour beaucoup, ce ne sont pas quatre ou cinq secondes qu’il a fallut, mais de longues dizaines de minutes. Sur Internet, Le Soir titrait déja « Le jour où la RTBF a dérapé ». Et le débat pouvait commencer.

Quel est donc le rôle du journaliste ? Qu’est-ce qu’une information ? Quel pouvoir ont effectivement les médias ? Et la déontologie autorise-t-elle cela ? Comme toujours, c’est une question de point de vue.

Certains y allaient vivement : « C’est du journalisme-poubelle », « Démission ! », « enquête du CSA 1», « pénalité financière pour la RTBF, qui a soutenu dans le secret cette forgerie ! ».

Des autres criaient au génie : « C’est nécessaire de réveiller la conscience collective ! », « Quelle audace ! », « Jamais une télévision privée n’aurait osé faire cela », « Notre service public fait preuve d’une réelle indépendance ! ».

L’emballement était général, les éditorialistes se lançaient des noms d’oiseaux, la profession se retournait dans son lit.

C’est un sujet délicat il est vrai. Remettons-nous en 2006. Nous étions a quelques mois des élections fédérales de 2007. La Flandre désignait son énième champion flamingant, Yves Leterme - qui allait devenir un Premier ministre chahuté. Il y avait, par ces poulains flamingants et les scores effroyables du parti d’extrême-droite Vlaams Blok, une inquiétude francophone lancinante. On n’osait trop le dire dans les médias, mais on sentait un malaise profond, une hargne qui venait de Flandre dont on ne savait dessiner les contours. Elle provoquait le fantasme qu’un jour, le Parlement flamand, en front commun, décide unilatéralement l’indépendance de la Flandre. Il n’y avait rien pour étayer cela, mais ainsi sont les hommes : quand on ne sait pas, on imagine. Quelques mois plus tard, aux élections, la Flandre a dévoilé ce qu’elle cachait, quoique le doute reste encore présent dans l’imaginaire collectif.

Les pays étrangers regardaient l’ovni télévisuel belge avec stupéfaction. Il n’est en effet pas courant qu’un média plaisante aussi sérieusement sur la disparition de son pays, avec le but de le choquer. Même avec le recul, cette réflexion est toujours de mise. Le débat est entré dans les rédactions et les universités du pays, et n’en sortira plus. « Pouvaient-ils utiliser le décor du journal télévisé pour tromper ?, - Non ! – Mais s’ils ne l’avaient pas utilisé, auraient-ils pu faire passer leur message avec autant de force ? – Non ! – Mais fallait-il tromper le public pour l’interpeller ? Non ! Oui ! ». Ce débat appartient a l’histoire du journalisme belge, car il n’y aura certainement plus d’émissions de ce genre a l’avenir. Par contre, les médias francophones et flamands consacrent désormais plus de place a l’actualité de l’autre communauté. C’est particulièrement le cas du Standaard et du Soir.

Les politiciens, a la fois admirateurs et critiques, n’avaient qu’une crainte, eux : monter les communautés les unes contre les autres. Ils ont donc également dû critiquer l’émission.

Prendre un avis dans un tel débat n’est pas aisé. Il mêle deux choses fondamentales pour un journaliste : la quête de la vérité pure, et la subjectivité pour faire passer ses idées. Déontologiquement, les deux sont absolument incompatibles. Pourtant, un jour, des journalistes belges ayant au moins 20 ans d’expérience et issus d’un média renommé ont franchi cette ligne rouge. Pourquoi ?

Odpovědna redaktorka : Selma Hamdi

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  1. Le CSA est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel en Belgique francophone. Il est chargé de vérifier si les médias respectent leurs obligations démocratiques et attribue les licences de diffusion.

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Detaille, Mathieu. De Palo Alto a Bruxelles [online]. E-polis.cz, 1. srpen 2011. [cit. 2024-04-19]. Dostupné z WWW: <http://www.e-polis.cz/clanek/de-palo-alto-a-bruxelles.html>. ISSN 1801-1438.

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